NORTH YORKSHIRE 1997

La route, qui constitue le motif central du tableau, descend le long d'une colline, bifurque en deux voies sinueuses qui se rejoignent au fond de la vallée. Comme dans la grande toile A Bigger Grand Canyon , le centre de la composition est ici creusé. La ferme, représentée frontalement, constitue un centre focal pour l'oeil du spectateur Les distorsions de perspective, qui affectent les champs du premier plan et les monts plus lointains, créent le cône d'un entonnoir qui enferme le centre du tableau.

Le découpage des champs en forme d'arcs et de faucilles, l'application pâteuse d'une couleur lumineuse, le détail des balles de paille rappellent les " Very New Paintings " commencés en 1992. L'espace n'était alors suggéré que par des moyens " abstraits ". Avec la série des intérieurs des années 1988-1989, North Yorkshire partage l'usage de perspectives multiples qui gravitent autour d'un centre vide.

Marco Livingstone a souligné le caractère synthétique de ces paysages. Il y a vu des " composés de sensations multiples dont la synthèse s'accomplit dans un flux continu de souvenirs fragmentés ". Ce schématisme a des antécédents plus lointains. Lors de son premier séjour dans l'Iowa, Hockney, déçu par l'aspect plat des paysages du Midwest, a peint des nuages auxquels il a donné la masse, le relief absents de la topographie locale. C'est à cette époque, au début des années soixante, qu'il découvre les paysages, réalisés dans les années trente, par le peintre originaire de l'Iowa, Grant Wood. Ses tableaux, peints d'après des maquettes, suscitent une impression de relief sans relation directe avec la platitude du paysage qui les a inspirés. Hockney s'est souvenu de cette plasticité paradoxale lorsqu'il a peint les paysages de son pays natal. On peut ainsi comparer North Yorkshire de Hockney à Young Corn [Blé en herbe], peint par Wood en 1931. De même, The Road across the Wolds rappelle Fall Plowing [Labour d'automne], également de 1931. Double Fast Yorkshire évoque enfin Spring Turning (Binage de printemps), réalisé par Wood en 1936. La colline aux arrondis sensuels de la toile de Wood fait toutefois ici place au fond de la vallée situé au centre du tableau. Le rapprochement entre les deux artistes ne dépasse cependant pas l'attachement aux paysages de leur pays et à la structure parfois semblable de leurs compositions. Les toiles de Hockney, par leur touche plus libre, par leur plus grande luminosité, sont très éloignées des ébauches parfaitement claires de Wood. La construction spatiale, la perspective des paysages de Wood sont en outre conventionnelles au regard des moyens mis en oeuvre par le peintre anglais. Wanda M. Corn, en 1979, dans une interprétation pénétrante des paysages dewood, emploie deux motsclefs qui sont également fondamentaux pour l'oeuvre de Hockney: Wagner et amour. "En mêlant érotisme et extase, écrit-il, Wood part de la relation existant entre le paysan et la terre mère pour en faire un duo d'amour wagnérien " Les paysages de Wood, Si séduisants soient-ils, ne fournissent pas les modèles conscients de ceux peints par Hockney. Inscrits dans sa mémoire, au plus ont-ils pu lui inspirer lointainement la composition, la rythmique, la plasticité des paysages du Yorkshire.

K.H traduit de l'allemand par M.C