A BIGGER GRAND CANYON 1998

En 1982, Hockney réalise l'un de ses plus ambitieux photocollages à partir de ses prises de vue du Grand Canyon. Saisir l'impression d'immensité ressentie devant le site au moyen de la photographie était pour lui un défi à relever. Comparés aux images traditionnelles, les photocollages présentent l'avantage de combiner plusieurs points de vue, ce qui accroît l'effet spatial de l'image qu'ils recomposent. Pour parvenir à ce résultat, Hockney doit toutefois se résoudre à des ruptures qui brisent la continuité de l'oeuvre - comme c'est le cas pour les collages de polaroïds -ou bien renoncer au format rectangulaire du tableau, et suggérer par là des contours étrangement courbes et fractionnés. Avec les deux versions de Pearblossom Highway, 11th-18 th April 1986, qu'il considère comme des accomplissements, il approche de très près les meilleurs effets que cette technique est capable de produire.

En 1997, pour la rétrospective de ses travaux photographiques au Museum Ludwig de Cologne, il imagine un photocollage de douze mètres et demi de largeur, imprimé au laser à partir des photos prises en 1982.11 intitule cette nouvelle oeuvre Grand Canyon South Rim with Rail, October 1982. Malgré l'impression d'immensité suggérée par ce collage, on ressent encore certaines ruptures qui inciteront Hockney à concevoir une version peinte, de grand format, de ce même site. Fidèle au principe des collages, il décide de réaliser l'oeuvre sur un ensemble de toiles de petit format qui seront montées les unes à côté des autres de façon à générer une continuité visuelle. Les soixante toiles, qui composent le plus grand tableau peint jusqu'à présent par Hockney, lui permettent au moins soixante points de fuite qui rapprochent davantage le paysage du spectateur que ne le ferait un panorama traditionnel conçu selon le principe d'une vision monoculaire. Ni chemin ni route ne conduisent le spectateur, à pied ou en voiture, à travers le Grand Canyon. Il tend plutôt à survoler virtuellement l'immensité de l'espace. Il passe d'une roche à l'autre, parcourant les gorges, en planant au-dessus du site, se laissant guider d'un point de fuite au suivant.

 

A Bigger Grand Canyon concentre les solutions pour représenter l'espace imaginées par Hockney et expérimentées au cours des trois dernières décennies. Parti de la perspectiva legittima de la Renaissance, David Hockney avait décomposé cette perspective en plusieurs points de fuite. Il avait déplacé ce point derrière le c spectateur, puis élargi le tableau à l'espace réel. Ces solutions partielles répondaient à un problème fonda- mental comment peindre un tableau où le spectateur pénétrerait et qui l'absorberait vraiment? A Bigger Grand Canyon lui permet de se rapprocher encore de cet idéal fusionnel.

K.H traduit de l'allemand par C.M-B (David Hockney : espace/paysage, centre Georges Pompidou )