A CHAIR, JARDIN DU LUXEMBOURG, PARES, 1OTH AUGUST 1985, ED. 4/13 1985

Le thème de la chaise vide (ou du fauteuil vide) est récurrent dans l'oeuvre de Hockney depuis 1964. On en trouve, aux côtés des nus sous la douche, aux côtés d'Indiens fatigués et au bord de la piscine du Bigger Splash. Ensuite, elles ne cessent de se glisser dans des scènes diverses il y a une chaise vide dans le double portrait du Parc de Vichy, en 1970; des fauteuils vacants posent devant les fresques de Picasso, en 1972; souvent, le siège inoccupé suffit à la scène, que ce soit dans le hall de l'hôtel Mamounia à Marrakech (1971), dans le jardin du Garden, à Vichy (1972), à la Casa Contini (1973), etc. C'est que la chaise, c'est déjà, ou encore, le corps. Avec ou sans bras, elle évoque pour Hockney un objet partiel chargé d'une intense charge émotionnelle et sexuelle, la nostalgie d'un amant, par exemple dans Chair and Shirt de 1972. Le mobilier restitue la présence, il en est le point d'appui, et même le réceptacle.

Avec Chair jardin du Luxembourg, Hockney a dramatisé ce qui jusqu'alors tenait un rang d'ustensile discret. Le meuble s'est fracassé en perspective inversée, à la japonaise. De plus, la figure de l'objet s'est partagée en plusieurs axes de vision et d'approche dans le plus bel héritage du cubisme. Mais, partagée, la chaise ne se divise pas. Indivise, elle se partagera selon des pliages multidirectionnels. Tout ce qu'elle peut faire, c'est s'objecter, se dégager du fond et se jeter à notre face, entraînant dans sa trajectilité brisée le sol lui-même. On peut donc dire, en quelque sorte, que la chaise s'exprime. Sa résistance à la mise en pièces et sa complicité avec la fragmentation nouent en elle ce qu'il convient de désigner comme l'expression, un bloc d'expression de soi.

Il n'est donc pas étonnant que cette chaise pathétique (mais sans dramaturgie autre que celle de la peinture et son battement objectivé) ait donné au peintre, trois ans plus tard, son inspiration pour la Chaise van Gogh. La ville d'Arles, célébrant en 1988 le centième anniversaire de l'arrivée de Vincent en ses murs, demanda à quelques artistes leur participation à cet événement. Hockney n'eut pas besoin de mimer le tracé de van Gogh, la viscosité de son tourment, pour nous en offrir une équivalence.

P.S (David Hockney : espace/paysage, centre Georges Pompidou )