LE PARC DES SOURCES, VICHY 1970

Le véritable sujet du Parc des sources, Vichy est la représentation perspectiviste. Le point de fuite des costruzione legittima en est le seul motif. La malice du Britannique David Hockney s'amuse de notre passion française à soumettre la nature aux lois géométriques propres à l'architecture. L'art de Le Nôtre et de ses héritiers a, pour celui qui a grandi au contact des jardins anglais et de leur désordre organisé, un exotisme, une incongruité, qui ne le cède en rien à celle qui saisit l'Occident face à l'art du bonsaï : La conception picturale de ce tableau m'a été inspirée par les jardins et les paysages de Claude Lorrain et de Poussin.

Le Parc des sources, Vichy est un piège optique. Les deux personnages qui nous tournent Si obstinément le dos redoublent l'invitation structurale du tableau à désigner le point de fuite comme unique cible de notre vision.

D'un point de vue plus narratif, le tableau introduit dans l'oeuvre de Hockney le motif de la chaise, auquel son art ne cessera plus dès lors de se référer Cette chaise inoccupée est évidemment celle du peintre, qui vient juste de la quitter pour photographier la scène, photo-graphie qui sera le support de la composition. Immanquablement, cette chaise abandonnée renvoie, pour David Hockney, à celle peinte par Vincent van Gogh que de nombreuses visites à la National Gallery de Londres ont attaché à sa mémoire.

Hockney découvre Vichy et son parc en 1968. Pendant plusieurs années, il revient périodiquement dans cette ville d'eaux où le fascine ce parc, peigné au brin d'herbe près, et dans lequel les jardiniers ont conçu une fausse perspective d'arbres pour rendre le parc plus long qu'il n'est réellement. En avril 1970, il réalise une série de photographies qui constitueront le matériau de son futur tableau. Peter Schlesmger et Ossie Clark posent pour la composition. Il faut quatre mois au peintre pour réaliser une oeuvre qui ne sera achevée qu'en 1970 pour la rétrospective organisée par la whitechapel. La perspective outrée que génèrent la taille des frondaisons, le mutisme, la pose Inhabituelle des deux personnages de la scène, confère à l'oeuvre un sentiment d'étrange étrangeté ". C'est ce sentiment qu'évoque Hockney, lorsqu'à son propos, il parle de forte connotation surréaliste. Au début des années dix, Giorgio de Chirico avait systématisé l'usage de telles constructions spatiales pour accroître le mystère de ses oeuvres.

Le Parc des sources, Vichy apparaît comme l'aboutissement d'une recherche entreprise en 1967 avec The Room, Tarzana. Après la série de tableaux des années soixante, caractérisée par un fort souci de planéité, The Room, Tarzana réintroduit avec emphase une construction perspectiviste de l'espace. Les pelouses, les piscines étaient élaborées à partir d'éléments résolument frontaux. Rompant brutalement avec ce principe, Hockney construit la peinture de 1967 sur un système de diagonales. L'autre caractéristique qui rapproche cette toile du Parc des sources est la plasticité des éléments de la composition. The Room, Tarzana est née de l'étonnement de Hockney face à l'apparence sculpturale des éléments de mobilier découverts dans une publicité des magasins Macy's. Cette surprise, suscitée par le caractère sculptural des meubles d'une chambre à coucher, rejoint celle éprouvée par Hockney face aux arbres taillés du Parc des sources [...] une sorte de jardin formel, [...] j'ai trouvé cela merveilleux, cet ensemble comme une sculpture. Je l'ai vraiment vu comme une sculpture.

Le voyeurisme achève enfin de rapprocher les deux toiles. L'intrusion dans l'intimité d'une chambre à coucher où il découvre un personnage ni; pudique (comparé par ses exégètes à Mademoiselle O'Murphy de Boucher), place le spectateur dans une position de voyeur. Le voyeur est toujours un intrus, il est celui qui, soudain, se voit voir, celui qui prend conscience de son effraction scopique. Hockney, un moment, envisagea de titrer Le Parc des sources " Tableau dans un tableau,,. Selon le principe d'une mise en abyme, le spectateur voit des personnages lui voient... la vision, métaphorisée par une perspective en excès, qui se donne à voir comme le visible lui-même.

D.O (David Hockney : espace/paysage, centre Georges Pompidou )