A BIGGER SPLASH 1967

Par sa diffusion, par son extraordinaire succès public, A Bigger Splash a contribué à forger l'image d'un David Hockney monomaniaque, peintre obsessionnel des piscines d'Hollywood. Le chlore, pourtant, n'exhale qu'épisodiquement de la peinture de Hockney À peine dix piscines, ce qui est un minimum pour quiconque a survolé un jour Los Angeles, pastillée par une multi tude de haricots turquoises.

A Bigger Splash est une parfaite image promotionnelle de la Californie, une épure des symboles de son mode de vie, des poncifs de son décor. Un ciel parfaitement pur, des maisons basses et modernes, largement ouvertes, des palmiers aux toupets haut perchés et, bien sûr, des piscines, encore des piscines... Une chaise " de producteur " rappelle par sa présence que Hollywood n'est pas loin. Une telle synthèse n'a pas jailli ainsi constituée de la brosse de Hockney. Deux tableaux de 1966 annoncent A Bigger Splash The Little Splash, le premier de la série, dessine une piscine aux formes encore curvilignes. Il montre une maison, dont le toit pentu sacrifie davantage à la nostalgie qu'aux lois locales de la pluviométrie. The Splash, la même année, soumet cette fois la piscine à la rigueur de l'orthogonalité. Le lointain d'un paysage, la perspective d'un socle pour sculpture moderne creusent encore un espace que le Bigger Splash écrasera violemment. Comme seule suggestion d'un espace en profondeur, A Bigger Splash ne retient plus en effet que la ligne d'un plongeoir, tracée en diagonale. Seules, ou à peu près, les feuilles d'un palmier le distingue d'une oeuvre de Près Mondrian. Pour s'assurer de la planéité de ses plages colorées, Hockney va jusqu'à délaisser ses brosses au profit du rouleau.

Comme nombre des tableaux peints depuis le milieu des années soixante, A Bigger Splash est bordé par un cadre blanc, peint sur la toile elle-même. Le peintre considérera un peu plus tard cette marge comme une forme de complaisance à l'endroit du modernisme. Avant d'affirmer le tableau comme image ready-made, avant d'évoquer les polar6ids, le cadre blanc vise ici à affirmer la dimension " moderne" (abstraite et bidimensionnelle) des images qu'il cerne (cf. Wilshire Boulevard, LosAngeles de 1964).

La photographie est toutefois bien à l'origine du Bigger Splash. Une publicité, trouvée dans un ouvrage consacré à la construction des piscines, en est la source avérée. À moins que l'orthogonalité d'un échiquier n'en soit le vrai modèle...

À Berkeley, dans le nouvel et vaste atelier qu'il vient d'investir, Hockney découvre qu'il a pour voisin Ron Davis, un artiste adepte de l'abstraction géométrique qui, comme lui, expose dans la galerie de Nick Wilder. Bientôt amis, les deux peintres passent de longs moments à jouer aux échecs. Leur première partie voit le triomphe de Davis qui déclare: " Voilà à quoi l'on s'expose à jouer avec un abstrait géométrique." Hockney gagne la seconde partie en expliquant qu'il est tout aussi dangereux de jouer avec quelqu'un qui sait quoi faire avec une reine (queen). A Bigger Splash est peut être la réponse de Hockney à sa première défaite. Le tableau cesserait dès lors d'être le dépliant publicitaire d'une Californie de rêve, pour devenir le commentaire amusé d'un débat entre le rationalisme de l'art géométrique et son antithèse stylistique qu'incarne l'expressionnisme. I'oeuvre deviendrait le champ clos d'un affrontement entre rigueur géométrique aplats colorés - et lyrIsme débridé - linéaments aléatoires d'une peinture projetée avec fougue. Cette histoire improbable ne dit hélas pas quel fou s'est risqué sur la diagonale du plongeoir, qui, de Pollock ou de Mondrian, vient juste de disparaître dans le monochrome bleu d'une piscine d'Hollywood?

D.O (David Hockney : espace/paysage, centre Georges Pompidou )