ROCKY MOUNTAINS AND TIRED INDIANS 1965

David Hockney peint Rocky Mountainsand Tired Indians à Boulder (Colorado) lors d'un séjour à l'Université locale où il est invité à enseigner. Un atelier sans fenêtres est mis à sa disposition. Les Montagnes Rocheuses, qui cernent la ville, lui sont invisibles. Tirant parti de cette situation absurde, l'artiste invente le paysage en se référant à des revues de géologie et des idées romantiques. Trois ans auparavant déjà il avait imaginé les Alpes suisses - qu'il n'avait pu voir du minibus qui le conduisait en Italie - pour peindre Flight into Italy - Swiss Iandscape . Rocky Mountains and Tired Indians montre des montagnes devant un ciel bleu, entièrement plat, dans lequel flottent quelques nuages blancs. Au premier plan, se découpent les silhouettes de deux Indiens (la plume de l'un, leur peau rouge en font des archétypes de cartes postales). À leur droite, le peintre a représenté un modèle de chaise contemporaine de couleur bleu (ajouté par Hockney pour des raisons de composition, cette présence permet de qualifier les Indiens de " fatigués ").

La peinture est presque rigoureusement plate, bidimensionnelle. Seuls, comme générés par un désir irrépréhensible de spatialité, l'oiseau, la chaise, quelques dégradés dans la couleur, des hachures suggèrent une illusion de profondeur, la possibilité d'un échelonnement de plans. La scène s'inscrit dans un cadre formé par une bordure restée blanche, accentuée par une ligne bleue. Dans la partie gauche de l'image, le cadre déborde dans la scène Si bien que la bande bleue paraît isolée. La présence de ce cadre n'est pas le seul élément qui souligne l'artificialité de la scène. La relation entre cadre et image s'établit également sur un effet de trompe-l'oeil. Ce n'est pas le cadre qui délimite la composition, mais la composition qui suggère l'existence de ce cadre. Parmi les nombreux paradoxes visuels de ce tableau, notons les traces de brosses qui apparaissent sur les nuages, gestes purement abstraits, sans relation avec le caractère figuratif de l'image. Les montagnes sont stylisées au moyen de divers procédés; des lignes parallèles renvoient à la fois aux couches géologiques des manuels de géographie et à la peinture abstraite d'un Harold Cohen, d'un Tasper Tohns, d'un Frank Stella, ou d'un Kenneth Noland. Ici, comme dans plusieurs tableaux du début des années soixante, Hockney détourne figurativement le vocabulaire formel de la peinture abstraite contemporaine. La montagne est à la fois un signe abstrait, et l'imitation précise d'un détail pictural de Harold Cohen. L'oiseau renvoie aux sculptures que les Indiens Haidas de la côte nord-ouest des États-Unis taillent dans le bois. C'est la nature qui est ainsi représentée de façon artificielle, et l'art traité de façon naturaliste. L'ancien est confronté au nouveau comme la réalité l'est à l'imaginaire. Bien que le genre du paysage de montagne implique la suggestion des lointains, la " profondeur de champ " est ici réduite au minimum. Aucune perspective aérienne ne souligne la succession des montagnes comme ce sera le cas pour les oeuvres qui viendront ensuite (par exemple Portrait 0f an Artist (Pool with Two Figures) de 1972. Seuls certains objets sont représentés en perspective. Paysage et surface picturale sont identiques. Les détails, traités de façon parfois contradictoires, indiquent que rien d'autre ne sera donné à voir au spectateur qu'un produit de l'imaginaire, un imaginaire nourri de l'imprécision du souvenir.

Kay Heymer traduit de l'allemand par Catherine Métais-Bührendt
(David Hockney : espace/paysage, centre Georges Pompidou )