PORTRAIT 0F NICK WILDER 1966
Dans ses premiers tableaux représentant les piscines californiennes, en 1965 et 1966, Hockney montre Peter Schlesinger et ses autres modèles sortant de l'eau, prenant un bain de soleil sur le bord ou sur des matelas flottants. Puis, en 1967, ce sera, avec le Bigger Splash, la disparition du nageur au sein de l'onde turquoise et sa seule présence (ou présentation) par une gerbe d'écume laiteuse, son fantôme éjaculé, en quelque sorte. Entre ces deux images limites, où l'eau apparaît chaque fois comme redoutable, soit qu'elle fût agitée de lignes serpentines, soit que son impassibilité lui confère les pouvoirs d'une avaleuse suprême, le Portrait 0f Nick Wilder constitue à lui seul une phase féconde et importante du problème de l'eau dans la peinture de Hockney.
L'on enverra par ailleurs les effets précis dans des oeuvres majeures comme Portrait of an Artist, de 1972, et Le Nid du Duc, de 1971, où l'eau des piscines est devenue transparence poreuse. Celle qui emplit le bain courbe (le seul dans le corpus hocknéen!), où pose Nick Wilder, en annonce l'habitabilité. Le rideau aquatique s'est détendu, sa texture se défait et n'interdit pas l'accès du corps à la profondeur Toutes les surfaces en sont à présent des émergences ou des vecteurs. L'eau cesse de pactiser avec le verre et renonce à la dureté rétinienne du reflet. La peinture acrylique, volontiers appliquée sur de la toile vierge et bue par elle, accentue ce côté mouillé du tableau. Nîck émerge d'un tapis laineux et caressant. Les entrelacs de l'onde abandonnent la tyrannie lancinante des carrelages et leur froide géométrie. Voici venue une nouvelle texture, optique et tactile, déterminant l'épanouissement d'une grande peinture! Laquelle, on le sait, se développe depuis l'art égyptien (la référence principale de Hockney), selon ce sens haptique défini par Alois Riegl la main voit et l'oeil touche. Avec Hockney en sa maturité, l'oeil désire boire et la peau géométrise.
Je suis un peintre éclectique, ne cesse de répéter Hockney, et ce tableau, comme bien d'autres, en offre une belle démonstration. L'art contemporain y est cité et même mieux, vécu, par le pourtour peint en blanc cassé ceci est plane, ceci n'est qu'une peinture. Fart moderne y resplendit par le jeu monumental des volumes de l'arrière-plan. Quant aux classiques, ils ne sont pas exclus de cette topologie transhistorique. Nick Wilder émergeant du bassin turquoise, c'est à n'en point douter <, une figure", l'apparition du figurai dans la représentation, et que les philosophes de l'art comme Jean-Erançois Lyotard, Gilles Deleuze et Didi Huberman opposent à la figuration narrative et anecdotique. Grand illustrateur, attentif aux histoires mythiques ou quotidiennes, David Hockney se déprend ici de toute soumission à une storia trop évidente. S'il fallait citer l'une de ses références classiques favorites, ce serait celle de Piero della Francesca. L'azur pâle du Baptême du Christ est devenu l'éclat turquoise des oisifs californiens, mais un même désir de résistance fîgurale, d'arrêt vibrant sur image, de géométrie lumineuse, de mystère en pleine clarté, anime l'art du maître d'Arezzo et de son actuel disciple.
P.S (David Hockney : espace/paysage, centre Georges Pompidou )