PACIFIC COAST HIGHWAY AND SANTA MONICA 1990

L'autoroute fait partie intégrante de ce vaste panorama et y serpente en ondulations synclinales; Elle ne s'ajoute pas au paysage, elle l'est. Alors que pendant ces années 1988-1990, Hockney multiplie les essais de techniques plurielles, utilisant abondamment le fax et la photocopieuse en vue de combiner ses paysages, il arrive paradoxalement à unifier par le rythme formel et chromatique des vues en principe condamnées à la disparité. Une sorte de rideau minéral s'ouvre de part et d'autre d'une série de failles ondulatoires, de surgissements telluriques, le tout s'apaisant à la vue de la baie de Santa Monica (en perspective contrariée!). Les autoroutes américaines ne sont pas du tout ici les ennemis du paysage, et Hockney a bien compris que leur réseau constitue le seul système artériel capable d'en animer l'immensité irreprésentable. Lors de sa première arrivée à Los Angeles, le jeune Anglais, égaré le long de la plage, de nuit, crut avoir distingué les lumières de la ville. Après une marche de trois kilomètres, il arriva à une immense station d'essence : tellement éclairée que je l'avais prise pour la ville. Déjà dans les années soixante, lors de son tout premier séjour californien, le peintre avait donc été frappé par la vastité de ce que Edgar Morin décrivait comme " cette aire informe, cette étendue urbaine énucléée. [...] je me sens à l'intérieur d'un énorme protoplasme.". Et Hockney d'évoquer ce dialogue avec un ami de Los Angeles : Je vais peindre en Californie. - C'est dingue, Si vous ne savez pas conduire, vous ne pourrez pas quitter l'aéroport. On ne pourrait peindre aujourd'hui un paysage en faisant comme Si l'automobile n'avait pas été inventée. Désormais, n'importe quel pays, traversé par la vitesse, devient aussitôt un patchwork. Le temps est révolu où Louis XIV pouvait dicter aux contemporains de Poussin le sens et les arrêts d'une visite de ses jardins. llockney l'a perçu dès 1962, en cette toile prémonitoire de tous les paysages des années quatre-vingt : Virée en Italie - paysage suisse. Assis à l'arrière de la voiture, le peintre avoue n'avoir rien vu des Alpes ou des Apennins cependant ardemment attendus. Par contre, les fragments émotionnels de ce voyage, s ajoutant à des photographies prélevées en des revues géographiques, créèrent cet étrange paysage à deux vitesses celle, chronométrique, de la voiture et celle, non mesurable selon les mêmes mesures, de la coupe géologique. Il n'y a rien de plus composite, de plus hétérogène, qu'un paysage. L'instant le plus fugitif le point de vue le plus appuyé, les fantasmes collectifs, la connaissance historique et géographique, les souvenirs, les anecdotes, le regard des peintres qui nous précèdent, tout cela finit par constituer un superbe pudding visuel, tactile, sonore, cinétique, c'est-à-dire le paysage moderne, forcément cézannien, futuriste et cubiste.

P.S (David Hockney : espace/paysage, centre Georges Pompidou )