CONTRE-JOUR EN THE FRENCH STYLE - AGAINST THE DAY DANS LE STYLE FRANÇAIS 1974

Dans son traité sur la peinture (De pictura), Alberti présente le tableau comme une " fenêtre " ouverte sur le monde. Pour l'historien et théoricien florentin, cette assimilation de la fenêtre et de la toile peinte est indissociable de sa définition comme section d'un cône, dont le foyer se confond avec le point de fuite de la composition. Le treillis de Dürer, les images imprimées au fond des camera oscura, celles des pellicules de nos modernes appareils photos entérinent cette collusion de la fenêtre et de la construction perspectiviste de l'espace. Hockney qui, avec ses doubles portraits de 1968, a renoué avec un espace illusionniste traditionnel, fait de son Contre-jour in the French Style, une méditation élégiaque sur cette perspective qu'il remettra bientôt radicalement en cause (avec Kerby de 1975).

Le Contre-jour... de David Hockney s'autoproclame de " style français ". Il est d'abord un hommage à la culture française, à cette ville de Paris où réside l'artiste de 1973 à 1975, où il occupe l'atelier qui fut autrefois celui de Balthus. Au Louvre, il photographie, dessine cette fenêtre qui lui inspirera son Contre-jour... dont tout, du motif au sujet et à la technique, exemplifie la francité. Hockney associe F irrémédiablement la fenêtre à la peinture de Matisse. Une gravure de 1972, Rue de Seine, où des poissons rouges tournent dans leur bocal posé devant une fenêtre, est un hommage explicite au peintre de Cimiez. Armchair [Fauteuill, en 1969, court-circuite les fenêtres de Matisse et sa définition de la peinture comme un bon fauteuil. Un an plus tard, Window, Large Hotel, Vittel [Fenêtre, Grand Hôtel, Vittel] esquisse un intérêt pour le graphisme décoratif du fer forgé des balustrades, intérêt déja manifesté par Matisse à la fin des années dix (L'Intérieur bocal de poissons rouges ou Porte-fenêtre à Collioure, tous deux de 1914 et appartenant aux collections du Musée national d'art moderne de Paris). Français, le Contre-jour... l'est également par son sujet: un jardin " à la française ", cadré par une fenêtre qui, pour le presque Américain qu'est devenu David Hockney, est elle-même "française "(les fenêtres américaines, coulissantes, sont, elles, " à guillotine ").

La technique du pointillisme appartient elle aussi à la tradition française, celle que fonda Seurat dont La Grande Jatte de la Royal Academy compte pour Hockney au nombre de ses oeuvres-phares. Je vais utiliser un style plus évidemment français : le pointillisme déclare t-il avant d'ajouter : Il y a quelque perversité à utiliser un style tel que celui-là, tout spécialement en France.

La perversité " de Hockney, dans ce tableau, excède largement le pointillisme de sa technique. Elle réside davantage dans ce nouvel épisode de sa relation critique avec le formalisme contemporain qu'écrit le Contre-jour... Le critique Peter Clothier voit dans le rideau translucide de la fenêtre barré par une croix " quelque chose comme l'icône spirituelle du minimalisme". Hockney, avec une subtile ironie, joue de la confrontation, de la superposition des deux paradigmes historiques du tableau que sont la fenêtre albertienne et la toile vierge formaliste. Transparence et opacité dirait l'historien rompu aux dialectiques propres au modernisme. Le tableau classique, transparent à un monde qu'ordonne la raison (raison redoublée ici par l'ordonnancement du jardin à la française), se superpose, dans le Contre-Jour..., a la toile dont la " vérité " matérialiste a été révélée aux temps modernes par les apôtres du formalisme.

D.O (David Hockney : espace/paysage, centre Georges Pompidou )