BUILDING, PERSHING SQUARE, LOS ANGELES 1964

Le palmier fait son apparition dans la peinture de Hockney dès 1963, après son séjour en Égypte, et il le retrouva un an plus tard en Californie. C'est alors qu'il en accentue l'aspect maigrelet et stérile exemplifié dans les deux palmiers du Bigger Splash de 1967. Seul, ou en couple, le palmier s'avère incapable de proclamer la verticalité royale d'un arbre. Il ne témoigne pas d'une quelconque arborescence. Ni ancrage dans la profondeur du sol, ni ascension dans l'azur, pas plus d'épanouissement en branches, feuillages, fleurs et fruits.

Pour Hockney, l'arbre est la symbolique même de la solitude affective. Il cite à ce sujet un poème de Whitman (J'ai vu pousser un chêne vert en Louisiane) : " Un arbre proférait de joyeuses feuilles vert foncé, toute sa vie, sans amis, sans amour." Le peintre ayant par ailleurs, au sujet d'un de ses tableaux de 1963, écrit : L'arbre est peint la tête en bas pour lui donner l'air encore plus malheureux. Qu'est-ce donc pour Hockney, le Sujet, le Moi, sa conscience d'exister, sinon une minceur fragile qui ne se verticalise que dans la solitude et selon une tristesse sentimentale à tout moment fatale...

Hockney serait donc le seul peintre à avoir réduit le palmier à un segment tuyauté surmonté d'un toupet avare. Le palmier fantomatique du First Marriage (Le premier mariage) de 1962 est à l'image du couple anglo-égyptien qui y médite tristement. Le contraire de ce qu'en fit Matisse, le contraire aussi de ce qu'en attend un peintre contemporain comme Sigmar Polke. Partout, le palmier est synonyme d'oasis, de repos ombré, de bonheur, de don aussi, dans l'opulence. Mallarmé en fit le point d'orgue de son Don du poème, le moment où le poète tente un mouvement de salutation et d'espoir lorsque la lumière paraît:

"L'aurore se jeta sur la lampe angélique, Palmes! et quand elle a montré cette relique À ce père essayant un sourire ennemi, La solitude bleue et stérile a frémi"

Il ne faut pas négliger l'étymologie de "palme" Si bien déployée par Paul Valéry: la paume, la main. Le palmier offre la sereine douceur de son fruit.

Dans son tableau de 1963, Great Pyramid at Giza witb Broken Headfrom Thebes [Grande Pyramide de Gizeh et tête brisée de Thèbes], Hockney confrontait son fragile palmier à l'architecture pharaonique et l'y emprisonnait. Dans Building, Persbing Square, l'arbre, à nouveau, s'inscrit dans un cadre monumental et architectonique qui le dépasse. Mais cette fois il ne s'agit plus d'un stolon isolé ou d'une sorte de couple de vermicelles roidis dans le ciel. À la façade du building, le palmier oppose cette fois un rideau d'arborescences. Ou plutôt, l'arbre, renonçant à tout héroïsme de la verticalité solitaire, se met à tisser horizontalement une tapisserie qui fait écran. Aux murs-rideaux d'une certaine architecture contemporaine, toute de verre et d'acier et propulsant les reflets de parois similaires, la peinture ajoute son réseau végétal et charnel. Rideaux d'arbres qui, pour reprendre un concept-image de Gilles Deleuze et Félix Guattari, s'opposeront à tout axe de hiérarchisation verticale pour favoriser un rhizome, un entrelacement polyvectoriel rhizomatique.

P.S (David Hockney : espace/paysage, centre Georges Pompidou )