ARIZONA1964

Chaque fois que David Hockney peignit des Indiens d'Amérique du Nord (ou leurs totems) il le fit en dehors de la série des thèmes et motivations habituellement évoqués en notre culture depuis que Gauguin s'imprégna de la primitivité des îles et Picasso de celle de l'Afrique. Pour Hockney, l'art et les personnalités des premiers habitants de l'Amérique ne renvoient pas à une quelconque origine. Il n'y cherche pas un archaïsme fondateur susceptible de toniques ressourcements. Et d'ailleurs, il n'a pas du tout exploré l'univers des anciens nomades de Californie et d'Arizona : J'ai d'abord enseigné à Boulder à l'université du Colorado, qui est un campus assez sympathique à la limite des Montagnes Rocheuses. On m'avait donné un atelier sans fenêtres [.. .] Tout le tableau est imaginé d'après des revues de géologie et des idées romantiques. Les Indiens les plus proches sont à plus de cinq cents kilomètres de Boulder . Les Indiens sont cités au sein d'une panoplie de documents. Dans la toile de 1965, Rocky Mountains and Tired Indians , à laquelle Hockney fait allusion, un fauteuil Knoll se juxtapose à un couple d'Indiens. Il s'agit de toute évidence d'un collage de citations selon les règles non dénuées d'humour d'une esthétique postmoderniste. Rien n'a d'épaisseur Tout est cliché. Etre artiste, c'est recycler, prélever, associer.

L'indien coiffé de plumes de Arizona est montré, exposé, parmi d'autres échantillons d'images. Il est lui aussi "fatigué". Quelque chose vacille en cet étalage, ou plus précisément, ce " mariage de styles " que Hockney a déclaré être le sens de sa toile fondatrice de 1962, The First Marriage [Le premier mariage). La rencontre des styles semble ici hésiter à fonder une famille ou à faire valoir la moindre unité territoriale. Cet Indien pourrait perdre toute relation avec les mégalithes à ses côtés. Cela crée une impression très intense d'étrangeté dont on retrouve l'atmosphère dans le portrait, en 1968, des collectionneurs californiens, Fred et Marcia Weisman. Planté entre des sculptures contemporaines et un totem indien, le couple se fige en statues d'une insolite présence. Et ce qui donne au tableau sa force de présentation provient de sa faculté d'agencer d'une manière très complexe des icônes hétérogènes tout en ayant l'air de simplement les juxtaposer Une fois de plus, Hockney prouve qu'un grand peintre redécouvre toujours et arpente et condense à sa façon toute l'Histoire de la peinture. Pour Hockney, cette anabase va de l'Égypte à l'Art minimal. Pourtant, quelque chose en ces éléments d'art brut ou de sculpture-objet renvoie aux signes des sociétés pour lesquelles le paysage, le seul tableau, fut la peau de la Terre et les traces majuscules (et éphémères!) que l'homme y laissait. Elles nuages noirs, dans le ciel de Arizona, sont-ils les signes du peuple indien ou de simples phénomènes météorologiques? On sait combien Hockney a toujours été attentif aux expérimentations de ses contemporains, même les plus éloignées de sa propre démarche. Ayant salué Gilbert and George ou étudié Kenneth Noland il aurait pu, en ce qui concerne ce tableau, faire un clin d'oeil à Richard Long.

Le paysage qui occupe la moitié supérieure du tableau articule étroitement des signes très différents. Une autoroute contourne une de ces montagnes typiques, érodées, de l'Arizona. D'abord ruban strié de blanc, elle épouse ensuite la géologie du cône montagneux. La voici strate parmi les strates. Hockney a toujours privilégié la géologie en ses paysages. C'est sa façon de cartographier la profondeur Il en développera le potentiel tellurique dans ses grands paysages des années quatre-vingt.

P.S (David Hockney : espace/paysage, centre Georges Pompidou )