PEARBLOSSOM HIGHWAY, 11-18TH APRIL 1986, N°1 1986

Il faudrait commenter ce tableau-photos en le mimant. Chaque phrase comme moment mémorisé. Rien que des surfaces micassées. Pas de verbes pour dire des états de vitesse. Juxtaposer les images et les imbriquer comme des carreaux, des tuiles. Faire en sorte que le lecteur mette le nez sur une boîte de Coca sur le bas-côté et qu'il percute le ciel dans le même espace-temps. Tout le tableau est un staccato étincelant. Ce qui s'est pulvérisé, c'est le point de vue unique, le point de vue central, le point de vue tout court. Reste un regard de myope qui, selon le mot de Paul Klee, broute le visible. Hockney déclare, à propos de ce collage photographique (qui est le dernier d'une série, dans le contexte d'une commande pour Vanity Fair relative à une illustration de Lolita de Nabokov) Chaque chose que nous regardons est au point (in focus) dès lors que nous la regardons. Le point de vue n'est donc qu'une mise au point totalement et infiniment déplaçable. Hockney plaide par ailleurs pour une vision latérale, périphérique, celle qui, balayant le visible comme un scanner saccadé, s'oblige constamment à le rapiécer, le rentoiler, le recomposer.

Rarement un peintre aura exploité avec autant de clarté les conséquences du cadrage et de la prise de vue photographiques sur la vision et l'art de notre temps. Pearblossom Highway condense une série de mises en question du cône de la perspective linéaire codifiée àla Renaissance. On y trouve la facette cézanienne étalée aux dimensions du photogramme et le fractionnement cubiste qui s'en suit; la haute vitesse du futurisme; la narrativité plastique de la peinture chinoise; l'art du collage et aussi la dénotation du détail photographique.

Une route qui s'étire vers l'horizon est censée entraîner le spectateur avec elle en un lointain que Michael Fried qualifierait "d'absorbement". Et cet effet ne manquerait pas de se produire dans Pearblossom Higbway, Si Hockney n'avait pris soin d'arrêter le visiteur trop empressé de son tableau. STOP! Stop Ahead! proclame cet espace qui ne suggère la profondeur que pour mieux étaler la profusion de la surface.

Et les médias des xIXème et XXème siècles, loin de décourager la peinture, trouvent ici, en elle, une réponse éloquente aux défis qu'ils ont affichés depuis 1822... Quelle peinture digne d'estime et de mémoire, depuis lors, qui n'ait eu le courage amoureux d'affronter la caméra? Hockney, dans cet esprit, prend le relais de Monet, Seurat, Bonnard, Léger, Bacon, etc. Il n'y a pas de postmodernité qui vaille, car la modernité n'a cessé de nous proposer ses questionnements et ses outils depuis des origines à inventer sans cesse.

P.S