THE SEA AT MALIBU 1988

Ce paysage fut peint immédiatement après la série de décors réalisée par Hockney pour l'opéra de Wagner, Tristan et Isolde. On y perçoit encore la trace d'une scénographie lyrique. l'avant-plan, éclairé violemment depuis la gauche du tableau, est peuplé de formes coniques et cylindriques non identifiables. l'effet dramatique en est volontairement abstrait. l'espace intermédiaire s'anime de courbes linéaires et planes. Enfin, l'arrière-pays offre deux horizons totalement distincts de l'Océan Pacifique. l'espace théâtral de la représentation Classique en sort totalement disloqué. Au lieu d'évoquer une scène quelconque, et de s'allier pour ce faire à une topographie complice elle-même d'une géométrie linéaire, The Sea at Malibu évoque la turbulence temporelle de la musique. Et qu'est-ce que l'opéra, sinon la fusion de tous les genres, l'oeuvre débordante, l'excès de la sensation, la rupture du cadre?

Comme dans toute la série de paysages de 1988, la question posée par Hockney à l'art du paysage est celle d'une déterritorialisation absolue. Il arrache la vue panoramique à ses références géographiques ou touristiques pour en faire quelque chose d'inhumain. Et c'est ce que le paysage, en fait, était vraiment avant que l'oeil culturel n'en fasse un tableau, un chromo ou un souvenir C'en est fait, en tout cas, des vues euphorisantes de l'Éden californien, ses piscines, pelouses et squares qui avaient rendu Hockney célèbre en 1967. Il faudrait relire tout l'oeuvre de Hockney à partir de ses vues cataclysmiques de 1988.

On pourrait juger dès lors de la grandeur de sa démarche. Loin de n 'être qu' un illustrateur du Swinging London, d'une homosexualité heureuse ou de tout autre bonheur imaginaire et médiatisé, Hockney aura, en vingt années de recherches et de remises en question, pulvérisé les étais sur lesquels il s'était tout d'abord appuyé. Cela débuta dès 1962 par des lieux clos et sécurisants et selon des impératifs de plaisir Le portrait, la nature morte et le paysage appartenaient tous trois au même genre : la scène d'intérieur. La piscine n'est ni un lac, ni un océan... Mais avec la série de 1988, tout ce microcosme hédonique éclate. La nature morte n'étant qu'un paysage visagéifié, et le paysage une hyperbole du visage, il faut qu'une seule et grande lame de fond, les faisant sortir de leurs strates respectives, en télescope les tessons et les marées.

P.S (David Hockney : espace/paysage, centre Georges Pompidou )