ORDINARY PAINTING 1964

La fenêtre ouvrant sur un paysage apparaît dans la peinture de Hockney dès 1963. La vue (la veduta) est tout d'abord associée au rideau. Celui-ci occupant la surface au point de la voiler. Il semble que le jeune peintre hésitait à se défaire de la texture dont il redouble en quelque sorte la toile. L'influence de Dubuffet sur Hockney fut à ce moment très importante et les arabesques de l'Hourloupe avaient pris le relais de ses empreintes et figurations, primitives. Mais cet Ordinary Painting ouvre une autre voie, dont certaines répercussions ne seront perceptibles que dans les paysages des années quatre-vingt. La fenêtre s'ouvre; la scène s'offre. Il s'agit de savoir Si la peinture moderne (et contemporaine) doit ou peut renoncer à la représentation. Une partie importante de la production de nos modernes, depuis Malévitch jusqu'aux minimalistes, sembla en faire fi. Mais la représentation du visible est inséparable de la présentation de la peinture! Hockney, comme tous les grands figuratifs de jadis et d'aujourd'hui, n'a cessé de le montrer. L'oeil du peintre est fourchu, il désigne le chiasme par lequel l'absence devient présence et selon lequel l'immanence s'évanouit. Il s'appuie dans le cas de Ordinary Painting sur l'exemplarité de celui qui fut le plus grand déconstructeur-animateur de l'espace scénographique classique: René Magritte. L'influence de celui-ci sur Hockney s'exerça par ailleurs en de multiples tableaux et particulièrement dans l'ensemble des gravures qu'il exécuta en illustrations des Six Contes des frères Grimm, en 1969. Fn ce qui concerne le tableau ici évoqué, le rideau en bord de fenêtre, la balustrade de l'avant-plan, la perspective d'amorce au sol et, bien entendu, l'intrusion du texte dans l'image, sont autant d'éléments magrittiens. La porte-fenêtre de Ordinary Painting est bordée de part et d'autre par un rideau. Au lieu de tenter de recouvrir l'échappée vers l'horizon, celui-ci se borne à une fonction d'index. Par ce rideau tiré, il est indiqué que le spectacle pictural a commencé, qu'il s'offre à la vue. La perspective au sol, en avant-plan, n'a pas d'autre fonction que d'inciter le spectateur à s'approcher, à pénétrer vu un espace aménagé pour lui. Tout semble, comme dans La Condition humaine des années trente de Magritte, faire croire à un espace profond en relation directe, par la coupe transparente de la fenêtre-tableau, avec le nôtre. Cependant une balustrade éclatante barre aussitôt la voie. Ou plutôt une demi-balustrade, comme Si, d'une part Hockney voulait interdire toute pénétration en l'image représentée, et d'autre part il désirait susciter le contact avec le représentant pictural lui-même, la toile peinte, sa pulsivité incarnée en un paysage tellurique. Tout est fait pour embarrasser celui qui voudrait contempler en amateur d'art friand d'illusionnisme ce qui est on ne peut plus explicitement écrit sous ses pas en lettres (ORDINARY PICTURE) comme une peinture toute simple, la peinture, comme telle, telle quelle. La plus simple de toutes - une fenêtre ouverte sur l'horizon - et cependant, extrêmement complexe en ses agencements. Quoi d'étonnant à ce que le paysage de cette Peinture toute simple ne soit pas du tout commun ni banal! Il objecte, il tonne, il vomit, il fait le gros dos, il bouscule. C'est une géologie plus qu'un paysage. Hockney y peint toute la difficulté du visible.

Pierre Sterckx (David Hockney : espace/paysage, centre Georges Pompidou )