BIG LANDSCAPE (MEDIUM SIZE) 1988

 

Dans la tradition de la peinture occidentale, depuis la Grèce antique (pour peu que nous en connaissions les productions), le paysage fut, soit un corps terrestre embellissant la nature, soit le visage pathétique d'une nature spiritualisée. Les modernes, depuis Turner et Delacroix, en firent le prétexte d'une plasticité peu à peu indifférente à l'homme. Et c'est très exactement ce que Hockney déclare avoir fait en travaillant à son Big Landscape : Je pouvais voir que j'avais commencé ici à jouer avec des idées plastiques... Je l'ai laissé dans un coin et il semblait quelque peu disparate parce que c'était une peinture dans la quelle j'explorais des idées. À première vue, cette impression de bric-à-brac persiste pour le spectateur. Sommes-nous devant un paysage? Où passe la ligne d'horizon? On a plutôt l'impression d'assister à un séisme et à son champ détritique peuplé de rocs et de ruines. Et même Si un oeil perspicace dégage de cette moraine apocalyptique ici une piscine et là une pyramide, il éprouvera quelque difficulté à situer en un pays quelconque un tel collage de styles et de fragments.

Mais il ne s'agit pas de vraisemblance, ni de ressemblance. Big Landscape est un tableau expérimental, en ce sens que le peintre y échappe à tout académisme. Celui-ci, s'agissant du portrait et du paysage (qui sont des genres beaucoup plus proches qu'il ne semble), s'efforce toujours de colmater, d'unifier, de lubrifier. Et Hockney, qui est cependant passé très près de l'hyperréalisme dans les années 1968-1970, avec des oeuvres comme Early Morning, Sainte-Maxime en a évité tous les pièges. Son étude persévérante et minutieuse de Picasso, ses réflexions sur les rapports de la photographie et de la peinture ont en effet mené Hockney dans une voie où les disruptions les plus baroques eurent droit de cité. Sa virtuosité eût pu lui assurer une peinture lisse, illusionniste et très aisément séduisante. Il lui préféra une progressive approche risquée du chaos. C'est là, sur cette frange tourmentée qu'il y a du visible, que le visible apparaît par la peinture et peut-être seulement grâce à elle.

Le paysage, pour Hockney, est tout comme le visage ou le corps un lieu de plissements et de fractures, un noeud d'échauffements et de saillies. Le lieu où la turbulence des reliefs, symptomatique de poussées pulsionnelles diverses venues des profondeurs, doit accepter le travail de compression et de laminage du peintre, tout en surfaces.

P.S (David Hockney : espace/paysage, centre Georges Pompidou )