A WALK AROUND THE HOTEL COURTYARD, ACATLÀN 1985

Après avoir été inaugurée à Minneapolis, l'exposition " Hockney Paints the Stage " est présentée au Mexique en 1984. Sur la route de Mexico City, une panne contraint Hockney à une halte forcée dans le village d'Acatlàn. Le patio de l'hôtel où il séjourne est aussitôt le motif d'une série de dessins. Plus tard, il lui inspire une série de lithographies, et enfin une peinture, une des plus colorées qu'il ait peintes à ce jour. Comme à son habitude, Hockney découvre prudemment son motif, en multiplie les études. D'abord, il se tient à distance, se plaît d'un rôle passif, dessine conven tionnellement. La lithographie titrée du second jour " montre encore un patio dont l'espace répond aux lois d'une perspective classique. Les études suivantes s'attachent au puits qui en orne le centre, considéré selon les points de vue qu'offre une déambulation sous les arcades qui bordent le jardin. La lithographie titrée Hotel Acatlan Two Weeks Later [Hôtel Acatlàn: deux semaines après] présente presque toutes les caractéristiques de la Promenade autour du patio... Détail capital, le peintre présent dans la lithographie disparaît dans l'oeuvre définitive. Cette disparition, loin d'être anecdotique, met à jour le sens ultime de l'oeuvre.

L'ambition de l'art de David Hockney réside dans la cénesthésie qu'il vise à faire naître chez les spectateurs de ses oeuvres. Longtemps, il a cru que les personnages de ses compositions pouvaient jouer un rôle d'intercesseur, comme le faisaient autrefois les donateurs qui, par leur seule présence à la base des retables, étaient capables de faire fusionner l'espace réel et le monde du miracle. Une fois de plus, c'est à Picasso que Hockney doit d'entrevoir l'existence d'un nouveau type de relations entre l'oeuvre et son spectateur Dans les dernières oeuvres de Picasso, le plus important, c'est le sentiment que la distance est abolie. Ce qui est aboli avec ces oeuvres de Picasso est le présupposé d'un regard objectif qui, à l'instar de la science, considère le monde à distance, sans jamais l'habiter.

Hockney découvre, dans les derniers tableaux de Picasso, la matérialisation plastique d'un regard dionysiaque qui creuse, palpe chacun des êtres et des objets qu'il appréhende. Le patio de l'hôtel d'Acatlàn est soumis à un regard de ce type. Son " cubisme ", qui lui fait répondre à une pluralité de points de vue, résulte directement des photocollages assemblés par Hockney depuis le début des années quatre-vingt. À partir de 1982, le collage de clichés Polaroïd, pris lors d'un déplacement autour d'un objet, l'a conduit à méditer à nouveau les leçons du cubisme. Comme le tableau de la route Mulholland, qui jouait dans son titre avec un " drive " qui explicitait la nature du mouvement inhérent à sa conception, la " promenade " autour du patio est également à prendre au pied de la lettre. Elle rend compte de la déambulation dont l'oeuvre de 1985 est le fruit.

Van Gogh compte au nombre des artistes dont Hockney entend assumer l'héritage. Avant qu'il ne copie la chaise de sa chambre à Arles, avant qu'il ne multiplie les peintures de tournesols en son hommage, il lui emprunte, pour le patio d'Acatlàn, sa touche et sa palette. Pour retrouver le ciel du Tapon, van Gogh était allé à Arles. Il semble que Hockney, au Mexique, ait vécu l'éblouissement des lumières de Camargue. Aveuglé par les clichés qui font de lui le peintre du plaisir, peut-être a-t-on négligé de rapprocher ce patio du Café de nuit peint par un van Gogh au bord de la démence. Le contraste du rouge et du vert, ici poussé à l'incandescence, est, depuis Delacroix et Baudelaire, symbole de toutes les folies, de toutes les passions. Ce contraste est celui du Café la nuit, place Lamartine, Arles par lequel van Gogh voulait exprimer "les terribles passions humaines"(Lettre à Théo, 8 septembre 1888). Le patio d'Acatlàn, en place du havre de luxe et de volupté que l'on croit, est peut-être l'hallucination du consul sorti du roman de Malcom Lawry qui, ivre de tequila, sentirait vibrer sous ses pas la rumeur d'un volcan.

D.O (David Hockney : espace/paysage, centre Georges Pompidou )